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Publié le 1 décembre 2012
Bulletin 52 ter Besançon Le pont Battant: d’un pont à l’autre
décembre 2012 Eveline Toillon
A Vesontio, du temps des Gaulois, la Boucle et le quartier outre pont communiquaient par un pont de
bois qui franchissait le Doubs. Cet ouvrage a été l’indispensable trait d’union entre la ville et le premier
faubourg historique de la capitale des Séquanes.
Celui-ci, consolidé, dut être utilisé par les Romains jusqu’au jour où, ils entreprirent de le remplacer par
un solide ouvrage de pierre, indispensable depuis que la ville s’était développée, embellie, et qu’elle
devenait lieu de passage obligé pour qui voulait aller à Chalon, Langres ou vers le Rhin. De plus, les
spectacles des arènes créaient de grands déplacements de foule.
« Sur le cours d’eau est jeté un pont de pierre, ouvrage robuste et inébranlable, bâti du plus profond du
lit jusqu’à la cime extrême de solides pierres de taille liées de fer et de plomb, il laisse sans danger passage à des attelages allant en sens inverse, il défie la violence du fleuve et donne accès à la ville ».
C’est ainsi que le pont romain de Besançon est décrit au Xe siècle, dans le prologue de la « Vie de
saint Antide ».
Ce pont avait résisté à toutes les invasions. A l’origine ses piles avaient une largeur de 4 à 5 mètres, et
sensiblement la même épaisseur. Les pierres étaient si parfaitement ajustées, les blocs si bien emboîtés
que l’ouvrage pouvait défier le temps.
Jean-Claude Barçon, spécialiste de l’antiquité au service régional d’archéologie, nous précise « Il faut
savoir qu’il était beaucoup plus long que celui que nous traversons aujourd’hui. Pratiquement le double (soit 110 m environ) car le Doubs pas canalisé par des remblais et des quais, du moins côté rive droite, s’étirait grosso modo de la rue d’arènes à celle des boucheries. Construit entièrement en pierres dites de Vergenne, sans doute au Ier siècle, dans le prolongement du cardo maximus (Grande Rue) il comptait alors au moins sept arches dont une reposait sur la pile en partie préservée que l’ont peut encore voir sur le chemin de halage»
En 1265, l’archevêque Guillaume II de la Tour autorisa quelques habitants à bâtir sur le pont, et bientôt
celui-ci fut bordé de maisons, de « chambrettes », dans cet endroit privilégié pour le commerce… Avec tant de passage, il fallait entretenir ce pont, les archives municipales nous apprennent qu’il fut « restauré » en août 1401, et pavé en 1457.
La conquête française amena bien des changements. L’administration ayant demandé, pour des raisons de sécurité, la démolition de certaines chambrettes, l’intendant dut s’incliner, à la grande déception des Bisontins. Pendant des siècles, le pont Battant avait été le seul de la ville. Il fut décidé, en 1688, d’en construire un autre, mais de bois, du fait des contraintes militaires. Reliant Boucle et Bregille, fragile, il était souvent victime des intempéries ou emporté par les eaux, si bien que ses habitués devaient alors emprunter le solide pont romain…
En 1693 Vauban fit édifier, à l’entrée du pont Battant, du côté de la Grande-Rue, un arc de triomphe en
l’honneur de Louis XIV, mais ce monument dut être détruit en 1775 tant la pierre, gélive, menaçait ruine.
Au XIXe siècle, si les boutiques avaient toutes disparu sur le pont, les marchands ambulants, les vendeurs à la sauvette y étaient nombreux, proposant des marrons, des fruits, du lait, des lacets, et même de la mort-aux-rats! On voyait des pêcheurs à la ligne, des enfants qui plongeaient dans le Doubs pour
quelques piécettes, des chiffonniers et des rétameurs, des chanteurs de rues et des cireurs de chaussures…
Gaston Coindre nous décrit tout ce petit monde qu’il a vu enfant, lui qui habitait au 12 de la Grande-Rue. Il n’avait pas oublié, non plus, les inondations de son quartier car, en période de crue, tous les débris
charriés par les eaux, surtout les branches et les troncs d’arbres, butaient contre les piles du pont, si
massives, et faisaient barrage. La construction des quais, le quai Vauban à la fin du XVIIe siècle, ceux de
l’autre rive au XIXe, priva le pont de deux arches, favorisant encore plus les inondations, si bien qu’il fut
souvent question de démolir cet ouvrage d’art, mais on avait scrupule à détruire un si bel héritage des
Romains.
Pendant la dernière guerre, l’autorité militaire fit sauter le pont Battant en 1940, pour entraver l’avancée allemande et, en 1944, ce sont les Allemands qui le dynamitent pour freiner l’arrivée des Américains.
Après cela, allait-on reconstruire le pont à l’identique? Allait-on risquer à nouveau d’avoir de graves
inondations? Les techniques ayant évolué, l’usage du béton précontraint permettait de concevoir un pont à une seule arche et alors, en cas de crue, de limiter les dégâts. C’est ainsi qu’en 1953, le 5 septembre, près de 10 000 personnes assistèrent à l’inauguration d’un élégant pont d’une seule volée, et Jean Defrasne de préciser: « Tandis que le préfet et le maire Minjoz coupent le ruban symbolique, le curé de la Madeleine, après sa messe des Bousbots, bénit le nouvel ouvrage ».
Après presque 60 années de bons et loyaux services, le pont en béton précontraint va laisser place à un ouvrage en charpente métallique. La construction de ce nouveau pont Battant est un des chantiers
emblématiques du futur tramway. Il mesurera 60 m de long comme le précédent, mais sera élargi à 24 m
contre 17 m auparavant. Les travaux d’assemblage de ce nouveau pont du XXIème siècle sont en cours et
devraient s’achever avant l’été 2013.
Eveline Toillon