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Publié le 29 mai 2025
Qui connaît le franc-comtois Charles Millot ?

L’enfant
Charles Marie Joseph Millot naît à Vesoul le 12 septembre 1880, boulevard de Besançon, d’un père fonctionnaire contrôleur des impôts directs et d’une mère, fille de banquier. Officier de marine, il deviendra un peintre officiel de la marine française après de nombreux voyages autour du monde et un aquarelliste-illustrateur renommé.
La mutation de son père amène Charles à Besançon. Il habite avec sa sœur et ses parents au 34 rue Ernest Renan, maison qui restera un bien familial pour sa sœur dans le quartier de Montrapon. Dans le salon trônait une vitrine remplie d’objets insolites (coquillages, coraux,…) qui émerveillait son petit neveu.
A cette époque, son père achète un maison appelée « le chateau » à Chalèze qui va accueillir les enfants pendant les vacances, qui restera le point d’ancrage de la famille et le lieu des souvenirs. Il y reviendra une dernière fois en 1937.
Charles commence sa scolarité au Lycée de Besançon. Son père étant nommé à Paris, il va intégrer le Lycée Henri IV. Il va croiser au Quartier latin l’effervescence de la fin du XIXe siècle, les affiches, les journaux, les couleurs de « la vie parisienne ». Les relations de ses parents avec des officiers de marine l’amènent à côtoyer un monde nouveau.
Ultérieurement à un journaliste qui l’interrogeait il répondra « Je suis né dans l’Est et je n’avais encore jamais vu la mer. Mais chaque jour elle m’attirait d’avantage. Les récits des voyages (Bougainville, Cook, Jules Verne…) renforcèrent mon désir de voyage »
L’étudiant
Souhaitant « dessiner et faire des mathématiques » il va à 15 ans intégrer l’Ecole navale. En 1897 il se trouve comme « fistot » sur son premier navire Le Borda. Les lettres qu’il envoie à sa famille décrivent ses débuts dans la carrière navale, accompagnées de ses premiers dessins.
Entre 1895 et 1897 il va naviguer à Brest, Dartmounth en Angleterre puis Amsterdam, St Malo.
Entre 1899 et 1900, l’aspirant de 2e classe va tenir les journaux de bord de la frégate école d’application de l’Ecole navale, l’Iphigénie. Outre les connaissances maritimes nécessaires, les futurs officiers devaient dessiner à l’aquarelle les vues des côtes, les détails géographiques.
Fin 1901, Charles Millot navigue vers la Chine dans la cadre du conflit militaire qui verra la bataille de Pékin avec le pillage des légations en août 1900.
Il revient en France en 1902 où il est nommé enseigne de vaisseau.

L’officier maritime
Il embarque sur le Dupleix comme officier des montres (officier de navigation). La note du commandant indique qu’« il est très bien doué au niveau artistique car il est musicien et il dessine et il peint avec un véritable talent ». La navigation l’amène dans tout l’Atlantique : Tenerife, Angola, Montevidéo, Buenos Aires, La Havane, Dakar, Cherbourg.
Après un passage à terre , il rejoint un vaisseau école de canonnier puis un croiseur cuirassé. Vers les années 1903, 1908 il va commencer à signer ses dessins Henri Gervèse dans des revues comme Le Rire, le Sourire, Fantasio, la Vie parisienne. Il acquiert rapidement une notoriété avec un trait alerte et un humour caractéristique.
En 1910 il est nommé au ministère de la Marine à Paris comme officier d’ordonnance du Ministre. « Sans perdre une minute il fit coudre sur ses pantalons d’uniforme les bandes d’or qui constituent l’une des principales caractéristiques des officiers composant l’Etat major particulier du Ministre ».
Jusqu’en 1913 il va faire parti de la haute société et participer à de nombreuses réceptions mondaines. Il va également s’inscrire à l’Académie de la Grande Chaumière où il va côtoyer nombre d’artistes.
Il va repartir en Chine comme commandant du Doudart de Lagrée mais aussi comme ambassadeur pour occuper le Yang Tsé Kiang.
Lors de la Grande guerre il va se retrouver aux Dardanelles en 1915 officier de liaison de la marine française auprès de l’amiral anglais. En 1916 il prend le commandant de l’Algol sur les côtes françaises de la Méditerranée. En juillet 1918 il rejoint le Ministère de la Marine comme attaché militaire. Il est promu capitaine de frégate en décembre 1919.
En juin de la même année il se marie avec Françoise Brisson, agée de 19 ans, fille d’un écrivain parisien célèbre.
La famille Millot quant à elle revient à Besançon avec un dernier poste pour son père et toujours la maison de Chalèze. Charles va y faire un voyage avec son épouse. La revue Les annales en font un caricaturiste humoriste et « un correspondant de guerre ». Il est très sollicité pour ses dessins.
En décembre 1919 il quitte le cabinet pour le Service historique, directeur de la revue Maritime.
Depuis 1830 il existe le titre de peintre de la Marine qui est accordé par le Ministre de la Défense essentiellement pour des artistes de « la Royale ». En 1920 un décret formalise cette distinction sous la forme de « peintre du Département de la Marine ». Pour l’année 1921 Gervèse est reconnu comme tel. Il tombe malade en 1923 et de façon inattendue il démissionne de la Marine. Il est donc admis à la retraite.
Nous le retrouvons en 1926 inspecteur à la Compagnie des Chargeurs réunis à Anvers puis sur les ports du Nord. En 1929 il divorce. La même année il fait une apparition à Chalèze chez son ami le docteur Berthet.
L’argentine
Après la Belgique, une nouvelle aventure va commencer en Argentine où il avait débarqué durant sa carrière. Il va rapidement devenir « el commandante » de la colonie française représentant toujours les intérêts des Chargeurs réunis mais également il reste le peintre de portraits pris sur le vif. Toutefois la Marine ne l’a pas perdu de vue puisque une note en 1932 indique qu’il est destiné à être nommé « attaché naval à Buenos Aires près de l’Ambassade de France ».
En 1937 il effectue son dernier voyage en France où il retrouvera à Chalèze sa famille et ses amis.
Outre ses fonctions il devient à Buenos Aires le président de la société Lancôme dont il dessine les publicités. Il va régulièrement exposer ses œuvres dans un milieu fait de mondanités et de frivolités. Au cours d’une représentation théâtrale il fait la connaissance de l’actrice Mei Ling, fille d’un diplomate chinois du temps de l’empereur. Il retrouve l’attraction qu’avait exercée la Chine dans ses années militaires. Ils s’installent tous les deux dans un appartement à Buenos Aires.
La guerre de 1939/1940 le laisse loin des combats et des luttes entre anglophiles, pro Vichy, gaullistes y compris à la Libération. Il va mettre à profit ces années pour écrire un unique livre « Souvenirs d’un marin de la IIIe République » publié en mai 1944. Les 2000 exemplaires seront rapidement vendus ou donnés.
En 1950 il cesse toute activités officielles même s’il demeure « un grand seigneur accompagné d’une grande simplicité ». Il entretient régulièrement une correspondance avec sa famille et sa sœur décrivant sa vie argentine. Son petit neveu J Schirmann , officier de marine sera le dernier à le revoir lors d’une escale.
Le 24 mai 1959 il s’éteint à Buenos Aires, souhaitant être rapatrié en France. Son cercueil après une traversée de l’Atlantique jusqu’au Havre rejoindra le cimetière de St Ferjeux à Besançon avec un grand drapeau tricolore hommage de la République.
L’oeuvre artistique
Sur l’Iphigénie
Charles Millot a laissé de nombreuses photos de ses voyages réalisées avec son appareil et ses plaques. Sur l’Iphigénie, outre les dessins maritimes, il croque tout ce qu’il voit, un
bateau, une côte, une chaîne de cabestan, un requin. Il laisse des commentaires précis :
« les embarcations de Martinique sont assez curieuses pour leurs gréements »
« le fort de Tartenson (Fort de France) date de 1867 possède encore les fortifications et le fossé Vauban »
En 1900 à l’issue de sa formation l’officier indique : « je tiens par cette note à vous montrer ma satisfaction sur la manière dont vous avez rédigé votre journal de bord pendant toute l’année »
Les cartes postales
Vers 1902/1903 Gervèse va commencer à dessiner et publier des cartes postales relatives à la vie à bord des navires militaires ornées de titres humoristiques (débarquement de vive force, on n’entre pas, retour de bordée…). Ses dessins vont paraître dans les revues de l’époque, le Rire lancé en 1894, Fantasio en 1905, la Vie parisienne créé en 1863.
En juin 1910 une escadre russe accoste à Cherbourg. Gervèse dessine une dizaine de cartes en russe que l’éditeur souhaite vendre aux marins. Pour l’occasion Gervèse russifie son nom.
Il va ensuite entreprendre une série de 100 cartes françaises numérotées intitulées nos marins. Son trait de dessin devient plus affirmé et dépouillé. Scènes de la vie à bord sur terre, en guerre, les punitions. Mais aussi précisions techniques : armement, uniformes, installations nautiques. Il ne dessinera que rarement des avions qui commencent à survoler le monde. Ses cartes postales décrivent au détail près les situations les plus rocambolesques mais également apportent des témoignages sur le contexte de l’époque de réalisation.



La carte représentant un accostage à Port Saïd montre la statue colossale de Ferdinand de
Lessep qui a été inaugurée à l’extrémité de la jetée de Port-Saïd en 1899 et marque l’embouchure méditerranéenne du canal de Suez.
Cette statue, après la guerre d’octobre/novembre 1956, a été mise à bas. Elle sera retrouvée, restaurée et installée sur la partie orientale à Port-Fouad.

En 1915 ses contacts avec l’État major anglais vont le conduire à éditer une série de cartes anglaises dont certains détails sont très britanniques montrant la curiosité de Gervèse.



En Argentine durant le mois de janvier 1936 il reçoit une mission du Ministre français de « se documenter en vu d’une série de cartes postales humoristique sur la marine argentine ». Il écrit à sa mère « Vous me direz votre avis sur les dessins. J’ai l’impression que mes cartes sont plus sérieuses que celles sur la Marine française. Avec l’âge on évolue ! »

Il va réaliser une série limitée de cartes intitulées « croquis d’escales » (Djibouti, Port Saïd, Singapour, Saïgon,Shangaï…). Toutefois il dessinera rarement des animaux tout à décrire les personnages, leur faisant prendre parfois la pose.
Ses portraits et paysages
Un témoin en Chine va écrire : « Tout le monde fut à un moment ou un autre son modèle. Il travaillait directement la couleur. Et à côté du dessin il pratiquait également la photographie avec un appareil à soufflet assez perfectionné ».
Il va réaliser des dessins publicitaires pour la phosphatine Fallières, pour Lancôme, pour la Société de Secours, pour les Chargeurs réunis… Personne
n’échappe à son regard, les croquis du cap Varella (officiers de marine), les autochtones des escales, les passagers et passagères.


En Argentine il va peindre des paysages , des monuments et puis tous ces personnages en costume traditionnel, les éleveurs dans les fermes,le peuple des campagnes, les portraits féminins. Il ne faut pas oublier sa famille dessinée à différentes époques de la vie et Mei Ling qui racontait « il a peint 59 portraits de moi et je lui disais souvent qu’il fallait changer de sujet »


Amateur de laque, il va travailler sur les paravents de type chinois et fera des cartons de tapisserie qu’il découvrira grâce à une amie hollandaise . En avril 1958 il réalisera son dernier dessin de marine « une batterie du Borda » pour le livre d’or de l’Ecole navale.
Bibliographie:
- L’Iphigénie journal de bord. Edition Marcel-Didier Vrac (2001)
- Souvenirs d’un marin de la IIIe République. Edition de la Cité (1979)
- Gervèse et la Marine de son temps. Edition de la Cité (1980)
- Gervèse peintre et marin. Edition du Gerfaut (2006)