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Publié le 1 décembre 2015
Bulletin 55 bis Besançon 50e anniversaire de la création du secteur sauvegardé de Battant
décembre 2015 RVB
Exposition « Vivre à Battant » ou de l’importance de l’architecture dans un secteur sauvegardé.
Le grand peintre et architecte de la Renaissance en Italie, Raffaelo Sanzio dit Raphaël,
considérait l’architecture comme l’art créateur par excellence et le premier des arts vivants.
Lors de l’inauguration de l’exposition consacrée au 50e anniversaire de la création
du secteur sauvegardé de Battant-Vauban, une jeune architecte, Karine Terral, prit la parole et nous rappela l’importance de cette démarche de création. De son propos, retenons que l’architecture, c’est tout d’abord une histoire d’Homme. Rien ne serait construit s’il n’y avait eu des hommes et des femmes pour exprimer des besoins et d’autres pour les entendre et mettre en œuvre les moyens nécessaires.
L’architecture, c’est aussi du temps pour faire avancer des politiques publiques, pour collaborer, débattre d’un projet commun avec les décideurs, les concepteurs, les techniciens, la main d’œuvre, les habitants, pour enfin réhabiliter et construire. C’est donc du temps pour réfléchir, créer et habiter. L’architecture se doit d’être un tout harmonieux pour le mieux vivre ensemble, une recherche d’harmonie entre usages, techniques et site. Ici les usages vont au-delà du logement et il convient d’interroger les habitants sur ce qui fait qu’un lieu apparait ou non comme accueillant.
C’est ce que, pendant plus de deux mois et demi, l’exposition « Vivre à Battant » a voulu démontrer. Présentée au cœur même du premier secteur sauvegardé créé dans notre ville, elle a rappelé l’Histoire de ce quartier, les péripéties de la mise en œuvre de son plan de sauvegarde et ses réalisations à plus de deux mille cinq cents visiteurs dont beaucoup ont bien voulu nous faire part de leur satisfaction.
Jean Defrasne, premier adjoint honoraire de la Ville de Besançon, disparu à la fin du mois de novembre, qui a été l’une des chevilles ouvrières du plan de sauvegarde de Battant-Vauban, écrivait dans son ouvrage « Battant d’hier et de demain » :
« Battant, on l’avait un peu délaissé à l’heure de l’expansion urbaine, on y revient avec sagesse… Derrière ses façades qui désormais ne dissimulent plus les arrière-cours et les taudis, c’est un réseau de contacts quotidiens, de rapports humains, d’échanges d’hommes et de cultures. C’est la sociabilité qui nait du respect de chacun dans sa richesse et sa diversité. »
Alors qu’un projet de fusion des deux secteurs sauvegardés de Besançon : Battant Vauban et Boucle et abords se profile à l’horizon, à moins que la nouvelle loi sur le patrimoine n’impose une autre donne, disons pour conclure que l’architecture, c’est aussi du courage, le courage d’être à contre-courant, de bousculer les habitudes, d’expérimenter ou d’initier de nouvelles formes de collaboration et d’habitation pour une meilleure cohabitation entre générations, favorisant ainsi une meilleure solidarité.
Merci à Françoise, Karine, Pierre, Nicolas, Alexandre, Marie-Hélène, Béatrice, Marie-Jo,
Françoise S.F., Jean-Claude, Marc, Christian, Eveline, Franck, Dominique…
La Renaissance du Vieux Besançon ne peut que se féliciter d’avoir prêté son concours à
la réalisation de cette exposition marquant 50 années de projets d’urbanisme qui, tout en permettant la restructuration de ce quartier et le maintien d’une grande partie de la population résidente, ont veillé à la protection du patrimoine ancien, à sa mise en valeur et à la création contemporaine.
Les secteurs sauvegardés – quelques réflexions d’A.Mélissimos, architecte urbaniste.
Dans le cadre du 50e anniversaire de la création du secteur sauvegardé Battant-Vauban et répondant à l’invitation de la Maison de l’Architecture, Alexandre Mélissinos, architecte urbaniste parisien, qui a participé à de nombreuses études visant à la protection et à la réhabilitation du patrimoine architectural et urbain et, de surcroit, membre de la commission nationale des secteurs sauvegardés, a été l’hôte de notre ville début novembre. A cette occasion, il nous a livré quelques réflexions sur ce sujet dont nous nous faisons l’écho.
LES ORIGINES
Si par le passé la ville faisait l’objet d’embellissements, de la ville ancienne on n’avait cure.
Elle était démolie ou réformée et remplacée par des architectures et des espaces de représentation conformes au style et au goût du jour. Seuls de rares monuments permettant de
s’approprier du prestige du passé étaient occasionnellement conservés comme ce fut le cas de la Maison Carrée et des Arènes de Nîmes qu’Anne de Montmorency protège en 1548 « pour l’ornement du Languedoc et louange du royaume ».
La plus ancienne mention de la ville ancienne comme objet patrimonial revient à Victor Hugo qui, passant par Bordeaux en 1839, écrit : « Embellissez la ville nouvelle, conservez la ville ancienne ». De l’appel de Victor Hugo, le XIXe siècle n’aura retenu que l’embellissement de la ville nouvelle que l’on bâtit souvent sur les ruines de l’ancienne.(…)
En France, durant l’entre-deux-guerres, les architectes s’interrogent…
Les « plans d’aménagement, d’extension et d’embellissement » de la loi Cornudet de 1919 ne prescrivent aucune conservation des centres anciens (…)
La loi de 1930 ayant pour objet la « protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque » n’est pas non plus destinée à la sauvegarde de la ville.
Rares sont les architectes qui saisissent l’enjeu. Parmi eux, Paul Gélis à Lyon en 1937 et Robert Auzelle à Paris en 1939 dressent l’un et l’autre des plans visant à conserver la ville tout en répondant aux exigences d’un habitat décent.(…)
Durant la guerre de 39-45, la loi permettant la protection des « abords » des monuments historiques contribue à la protection urbaine.
Mais, à l’après-guerre, le ton est vite donné par le maire de Lyon, Edouard Herriot, qui dira :
« Le Vieux Lyon n’est qu’un ramassis de taudis, tout juste bon pour l’équarisseur ».
Ce courant est général. En Angleterre, on va jusqu’à rêver de la démolition du centre de Londres. En France, la « Rénovation urbaine » deviendra la doctrine officielle destinée à remédier au « taudis historique ». Entre 1956 et 1976, 1 500 hectares sont rasés et 120 000 logements sont démolis en son nom. (…)
L’originalité de la loi Malraux de 1962 est qu’elle réunit la protection patrimoniale et l’aménagement urbain en une approche conjointe. Elle « concilie deux impératifs qui pouvaient paraître jusque-là opposés : conserver notre patrimoine architectural et historique et améliorer les conditions de vie… »
En revanche, la mise en œuvre des plans de sauvegarde et de mise en valeur, sans doute les instruments les plus élaborés dont dispose la conservation des villes en Europe. se heurtera à de nombreuses difficultés dues aussi bien à l’absence d’une culture et d’une pratique urbaines de la part des administrations, des villes et des professionnels, qu’à la rédaction ambiguë du texte de la loi, à l’inadéquation des moyens engagés et à l’absence de toute méthode définissant ce que l’on protège, pourquoi on le protège et comment on le protège. (…)
LE SECTEUR SAUVEGARDÉ : UN CARCAN ? DES LACUNES ?
Un carcan
Cela fait plus de cinquante ans que cette loi que l’on qualifie souvent d’autoritaire, d’abusive, de contraignante et de méprisante du droit de propriété… résiste, et que les villes en redemandent. Pas une ville parmi la centaine disposant d’un secteur sauvegardé n’a demandé jusqu’à présent à être délivrée de ce carcan.
Bien des tentatives ont pourtant été faites par des services de l’Etat pour supprimer les secteurs sauvegardés ou pour les vider de leur contenu considérant que la sauvegarde empêche l’aménagement et la modernisation des villes ou qu’elle est contraire au droit de propriété.
Récemment encore, on les a chargés de considérations et d’une normalisation qui, tout en étant souvent louables en elles-mêmes, risquent d’affaiblir les secteurs sauvegardés et de contrevenir à leurs objectifs premiers.
Mais les choses sont aussi plus compliquées : si aucune ville n’a demandé à être libérée de cette procédure « contraignante », il n’est pas moins vrai que les objectifs tant patrimoniaux qu’urbains des secteurs sauvegardés ne sont pas toujours poursuivis. L’aura du « label », les avantages financiers et fiscaux, les quelques restaurations voyantes, le succès touristique qui s’en suit fréquemment semblent parfois suffire. (…)
Ces politiques à courte vue risquent de détruire la ville ancienne. L’on voit déjà, ici ou là, les prix fonciers baisser car la vie ordinaire des habitants ne fait pas toujours bon ménage avec l’animation engendrée. (…)
La seule population qui s’accommode d’un tel contexte est une population jeune, en « transit » dans le centre ancien, ou une population âgée qui, elle, attachée à son cadre familier ou à la proximité des services, est également en transit biologique.
Et, grâce à cette « demande » en logements, les investisseurs trouvent là leur meilleur compte par le morcellement des bâtiments anciens en studios, condamnant ainsi un parc qui ne pourra plus être restructuré pour offrir des logements familiaux et équilibrer les quartiers anciens.
Des lacunes
En tant que plan d’urbanisme, le plan de sauvegarde a des objectifs aussi bien fonctionnels que patrimoniaux. Les premiers, soumis au contexte politique, social et économique évoluent constamment alors que les seconds ne peuvent être atteints que dans la durée. En revanche, les mesures de conservation et de mise en valeur ne peuvent pas être subordonnées à la conjoncture. Leur horizon est celui des objectifs à atteindre à court, moyen ou long terme en fonction des moyens disponibles au fil du temps. Quelles que soient les évolutions, ce qui importe c’est de ne pas les compromettre au bénéfice de l’immédiateté.
La deuxième lacune est celle qui empêche d’opérer en connaissance de cause. Les autorisations sont délivrées à partir de documents insuffisants.
Comment peut-on apprécier un projet de restauration sur des documents au 1/200e ?
Plus grave encore, comment peut-on accorder ou refuser une autorisation si l’on a seulement un « état des lieux apparent de l’édifice » alors que l’on sait que derrière les enduits se cachent souvent des dispositions anciennes qu’il convient de mettre en valeur ? Or, les sondages ne sont pas autorisés. (…)
Une autre lacune regarde le système législatif qui est binaire oui-non alors que les enjeux de la restauration et de la construction neuve supposent le peut-être. Dans le même ordre d’idées, la dissociation du permis de démolir et du permis de construire conduit à laisser disparaître des bâtiments sans que l’on sache ce que l’on met à leur place.
Enfin, la plus grave et qui s’annonce avec le projet de loi « relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine » est la disparition de l’autorité de l’Etat alors qu’il s’agit d’un patrimoine d’intérêt national. Il conviendra que nous soyons tous vigilants sur ce point.
Projet de Loi : Liberté de création architecturale et patrimoine
Nous avons souhaité attirer votre attention sur le vote de cette loi par l’Assemblée nationale le mardi 6 octobre dernier.
Ce texte crée en effet un nouveau classement « Cités Historiques » qui doit notamment remplacer les dispositifs actuels : secteurs sauvegardés, zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager, aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine. C’est dire combien notre ville avec l’un des plus vastes secteurs sauvegardés de France est concernée.
La commission culture et éducation de l’Assemblée nationale avait pourtant permis aux associations nationales de sauvegarde et de valorisation du patrimoine de défendre leurs points de vue et recommandations sur ce texte.
Je vous livre leur protestation en vous rappelant que nous sommes affiliés à la Société Nationale pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France (SPPEF).
Réunion des associations nationales de sauvegarde du patrimoine bâti et paysager Reconnues d’utilité publique
Loi patrimoine : un texte qui ne peut satisfaire les associations nationales de sauvegarde et valorisation du patrimoine et cela malgré le travail de concertation engagé auprès du rapporteur.
Cet important travail de concertation est resté lettre morte dans la mesure où la quasi totalité des amendements présentés ont été rejetés.
Les associations « reconnues d’utilité publique » continueront à travailler sans relâche, désormais auprès des sénateurs auxquels le texte va être prochainement soumis.
Rappelons les trois mesures particulièrement inquiétantes qui méritent d’être fortement amendées :
Le régime unique des « cités historiques » qui, en voulant trop rapprocher le Code du patrimoine de celui de l’urbanisme, risque, sans garde-fous, de soumettre les règles de protection du patrimoine aux aléas de la libre administration des maires, là où le contenu des protections et leur pérennité doivent être garantis par l’Etat. Le régime des abords, pilier de la sauvegarde du patrimoine, mis en danger par une généralisation de périmètres délimités réduits.
Le régime de propriété des biens archéologiques, dont on peut craindre qu’il ne dissuade les découvreurs de déclarer ces biens dans la mesure où la présomption de propriété au profit de l’Etat de tout bien reconnu d’intérêt scientifique ne s’accompagne d’aucune indemnisation.
« Il faudra faire preuve d’un surcroît de vigueur et de conviction pour ne pas, avec cette loi, entériner d’un seul coup la remise en cause pure et simple de l’action d’André Malraux et de Jack Lang »
Alexandre Gady, Président de la SPPEF
Olivier de Rohan-Chabot Président de la Sauvegarde de l’Art Français
Bernard Duhem, Président de Maisons Paysannes de France
Jean de Lambertye, Président de la Demeure Historique
Henri de Lépinay, Président de REMPART
Alain de La Bretesche, Président de Patrimoine-Environnement
Philippe Toussaint, Président de Vieilles Maisons Françaises
Ce texte présenté comme une simplification, bouleverse l’essentiel du régime du patrimoine français et suscite actuellement bien des questions.
Il doit être présenté au Sénat dans le courant du mois de février 2016 ; nous vous rendrons compte à l’issue de ces débats parlementaires.
Une énigme
