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Publié le 1 juillet 2018
Bulletin 58 La Cité ouvrière « Dolfuss » à Mulhouse
juillet 2018 Jack Bourguet

LES CITES UTOPIQUES
Depuis le milieu du XVIIIe siècle, des réflexions urbanistiques se développent, voulant recréer un modèle idéal de cité basée sur des principes urbanistiques et incluant des préceptes moraux et politiques.
En 1768, Buffon construit un ensemble comprenant des forges et un complexe d’habitation à proximité de Montbard. Des théoriciens vont développer des projets, en Angleterre avec Owen, en France avec Ledoux, Fourier, Cabet. Certains seront suivis de réalisation. On peut citer en Écosse New Lanark, en Belgique le Grand-Hornu, en Italie Crespi d’Adda et même aux USA où des utopistes français créeront d’éphémères phalanstères.
Avec l’essor industriel au XIXe siècle, les concentrations ouvrières dans les villes et dans les logements insalubres conduisent le patronat à lancer des programmes de construction de logements individuels à proximité des usines, où les ouvriers pourront trouver «un épanouissement» et seront surtout attachés à l’usine (Schneider au Creusot).
L’économiste Baudrillart écrit en 1867 : «C’est la famille reconstruite par la propriété et la moralité reconstituée par la famille.»
Des industriels marqués par la religion, qu’elle soit protestante ou catholique (le catholicisme social apparaît à partir de 1870) vont souhaiter offrir aux ouvriers, outre le logement, des services publics nécessaires à la vie quotidienne.
Napoléon fait réaliser à Paris une cité, rue Rochechouart, en 1850.
Un industriel d’Héricourt vers 1852 note que «les chefs d’établissement font aux ouvriers reconnus honnêtes et laborieux des avances de fonds pour construire de petites maisons et établir leurs familles; ces avances sont recouvrées sur le fruit du travail».
Paul Lafargue, dans le Droit à la paresse (1880), indique que « ce n’était pas parce que les Dollfus, les Kœchlin et autres fabricants alsaciens étaient des républicains, des patriotes et des philanthropes protestants qu’ils traitaient de la sorte leurs ouvriers».
LA CITE OUVRIERE DE MULHOUSE
La société industrielle de Mulhouse décide de lancer le 24 septembre 1851 un concours de cité ouvrière. Le projet de l’ingénieur–architecte Émile Muller est retenu. En 1852, sont réalisées deux maisons ouvrières modèles
La cité ouvrière de Mulhouse a été réalisée en plusieurs étapes de 1853 à 1897 et compte 1 243 logements unifamiliaux.
Le premier projet de 320 logements à construire sur huit hectares n’est réalisé que partiellement (200 logements sur cinq hectares) car les ouvriers jugent les maisons trop chères. Le premier projet est suivi rapidement d’un deuxième et 660 logements sont encore réalisés jusqu’à la guerre de 1870.
Après un temps d’arrêt, la cité s’agrandit encore de 383 logements, pendant la période allemande, de 1876 à 1897.
La cité compte alors 6 551 habitants, soit plus de 11% de la population de Mulhouse distribuée dans 920 logements unifamiliaux (soit environ sept personnes par logement).

La cité est construite sur des terrains agricoles inondables au nord-ouest de la ville. Cet espace est asséché grâce au percement d’un canal de décharge de l’Ill, achevé en 1846.
Cette cité-jardin offre des logements familiaux individuels avec un jardin privatif. La cité est construite selon un plan orthogonal où les rues et les passages de 2,50 mètres de largeur se coupent à angle droit.
Initialement, une grande place centrale était prévue pour divers équipements, à savoir des commerces, des bains et des lavoirs. Elle a cependant été réduite et c’est actuellement un espace vert avec jeux pour enfants.
Deux types de parcelles sont délimitées pour les maisons, l’une allongée, l’autre carrée, en fonction des types de maisons.
Chaque maison comprend un rez-de-chaussée (cuisine et salle de séjour), un premier étage (deux chambres), une cave et un grenier.
Les plus nombreuses sont les maisons par groupes de quatre avec une surface habitable de 40 m² en moyenne, deux murs mitoyens et deux façades qui donnent sur le jardin. Un autre type, bien
représenté, comprend les maisons contiguës en bande et adossées. Il s’agit des maisons les plus économiques.

Enfin, les maisons en bande entre cour et jardin sont les moins nombreuses : le nombre de pièces est plus élevé, mais aussi le coût.
Une évolution dans la construction des maisons se fait jour à partir de la deuxième cité (1856) et durant la dernière période. Des extensions et des surélévations vont modifier la globalité du projet.
Un Parisien se promenant en 1860 dans la cité fait un commentaire élogieux : « Nous traversons plusieurs rues bien alignées, bien pavées, éclairées au gaz et pourvues de fontaines. Toutes les constructions qui bordent ces rues sont établies sur le même plan. Ce sont de jolies maisons entourées de jardins cultivés.»
Un système de location–vente doit permettre à des familles ouvrières d’accéder, après une période de treize à quinze ans, à la propriété de leur maison (équivalence d’un loyer par mois).
Les ouvriers représentent les deux-tiers des habitants de la cité. Ils se partagent à peu près à part égale entre ouvriers non qualifiés et ouvriers qualifiés. Les autres maisons sont occupées par le personnel d’encadrement des usines, depuis le contremaître jusqu’à l’ingénieur (126 logements), également par des artisans et des petits commerçants (119 logements), enfin par la petite bourgeoisie et quelques cas
isolés (58 logements).
Ce type de cité va se développer en France – Meunier à Noisiel, Mame à Tours, Girod à Ugine – et déboucher sur «les cités jardins» des années 1930 avec Henri Sellier, mais également en Europe.
Un autre type de construction voit également le jour au XIXe siècle, se rapprochant des courants utopistes, avec la création de « familistères » comme à Guise (Oise) avec l’usine des poêles Gaudin.
Face à l’insalubrité grandissante dans les villes et avec la primauté de l’industrialisation, l’État va commencer à s’intéresser au problème du logement avec une première loi votée contre l’insalubrité en 1850 qui débouchera sur les Habitations bon marché (HBM) en 1889, puis les HLM, Habitations à loyer modéré, en 1912.
Sources : – Office du tourisme de Mulhouse ; – base numérique du patrimoine d’Alsace ; – Histoire de la France urbaine ; – Ministère de la Culture : Base Mérimée.
Jack Bourguet