Publications > Bulletins de l’association
Publié le 27 octobre 2025
Bulletin 63 La Grange Coulon

A la confluence des rues de la Cassotte et des Deux Princesses, au plan relief de 1722,
la Grange Coulon, propriété résidentielle et exploitation agricole.
C’est une entrée de ville animée avec des commerces et des auberges dont celle des « Deux Princesses » dédicacée peut-être aux filles de Louis XV. A droite, le ruisseau Fontaine Argent.
La conquête française consommée, Besançon double sa population intra-muros au cours du 18ème siècle. Dans la Boucle, les étages sont surélevés, les cours et les jardins privés sont mis à contribution. Alors, en dépit des servitudes militaires interdisant toute construction à moins de 500 mètres de l’extérieur des fortifications, bourgeois, curés, militaires, magistrats… construisent rive droite leurs maisons de campagne.
C’est ainsi qu’apparait vers 1750, au 28 de la rue de la Cassotte, un joli pavillon qui accueille bientôt Joseph Acton, né à Besançon en 1737, de parents immigrés irlandais. Il s’engage dans la marine française. Il passe au service du roi de Toscane où il sauve 4 000 Espagnols des navires arabes, ce qui lui vaut un poste de Ministre de la Marine puis des Finances au Royaume de Naples. Disgracié, il meurt exilé en Sicile en 1808.

Ces maisons dites « de campagne » sont souvent remarquables mais elles vont être victimes de la campagne de France de Napoléon. Marulaz est en charge de la défense de la ville face au blocus mis en place par les Autrichiens de janvier à mai 1814. Il fait raser 200 maisons de la banlieue pour ne pas qu’elles servent de point d’appui à l’ennemi. Besançon hors les murs est réduit à un alignement de tas de gravats. Détruite la villa de l’architecte Claude Antoine Colombot rue de la Mouillère et son magnifique parc qui allait jusqu’à la rivière. Détruite l’habitation du brasseur Joseph Greiner à la Mouillère ainsi que la demeure de l’abbé Millot aux Chaprais. Certains en mourront de chagrin. Mais étonnamment la villa
du 28 rue de la Cassotte est épargnée. Manque d’intérêt stratégique ? Solidarité de Corps ?
Objet d’une vente notariale en 1839, la Grange Coulon défraie la chronique municipale peu avant . Le Conseil est tout au retour des eaux d’Arcier. Ce dossier a occupé trois maires : Micaud, Brétillot et Convers. Les discussions s’éternisent. Les gens d’Arcier argumentent. Besançon n’a pas besoin des eaux d’Arcier. Les Bisontins ont la rivière, la source de la Mouillère (Isenbart) et Billecul en aval du Pont Saint-Pierre. Au conseil du 22 juin 1836, le rapporteur de la Commission rappelle un incident fâcheux. Quelques années auparavant, deux tonneaux de goudron ont été déversés à la Grange Coulon et la pollution
reparut aux deux sources les rendant inutilisables, à la grande colère de la population. Le responsable de l’entreprise fut traduit en Correctionnelle. Une analyse de ces eaux est effectuée en 1874 par Sainte-Claire- Deville, Président de la Faculté des Sciences, dans le cadre de l’alimentation en eau du quartier de Saint-Claude. Elle confirme leur piètre qualité, leur vulnérabilité et leur inconstance.Il faut tordre le cou à cette idée qui veut que le succès de la bière de la Mouillère (puis Gangloff) tenait à la qualité des eaux d’Isenbart.

L’affiche de la vente notariale de la Grange Coulon du 26 juin 1839 nous en apprend davantage sur la réalité de la propriété. La vente intervient à la requête de Laurent et Charles Monnot, suite au décès d’un troisième frère, Pierre Louis Monnot médecin, mort en Louisiane, Etats-Unis.
La maison se compose d’une cave voûtée. Au rez de chaussée, 2 pièces sur la cour et 2 chambres sur le jardin. A l’étage, 4 chambres. Une grange avec écurie joint l’habitation. Au-dessus de cette grange, une petite chambre, un grenier à foin et un débarras. Adossé à la grange, un vaste hangar surmonté d’un
grenier. Puis appuyés contre le mur de clôture, deux petits bâtiments contigus. L’un sert d’écurie, l’autre de chambre à four avec à l’étage, une chambre surmontée d’un colombier.
Pour en terminer avec ce mur, signalons encore une hutte à porcs.
Un jardin potager contigu à la maison est planté d’arbres fruitiers en plein rapport. Des treilles garnissent une partie des murs de la maison et de la clôture du jardin sur la rue. Cette partie de propriété est entourée de murs de clôture. Elle est limitée à l’Est et au Sud par le ruisseau Fontaine-Argent. Un verger est affecté à ce premier ensemble. A ce verger, il convient d’en relier 4 autres appuyés sur le ruisseau et un pré au-delà sous Bregille. La Grange Coulon occupait 3 hectares 23.
Cette vente est certainement le prélude au démantèlement. En 1866, les Sœurs de la Charité de Besançon, congrégation fondée par Jeanne Antide Thouret ouvrent entre le chemin Fontaine Argent et les rues de la Cassotte et des Deux Princesses, Saint-Vincent des Chaprais, une école et un pensionnat pour 120 internes.

En 1874, une convention avec la Ville régulent les problèmes d’ici bas. Pour permettre la réalisation de l’Avenue Fontaine-Argent, les Sœurs cèdent une bande de terrain contre des concessions au cimetière des Chaprais. La Ville s’engage à déplacer leur lavoir de l’autre côté du ruisseau. Mais la dérivation opérée provoque un assèchement du lavoir une bonne partie de l’année. En 1882, rejointes par d’autres riverains, les Sœurs sollicitent une alimentation pérenne. Le branchement se fera sur la conduite des eaux d’Arcier traversant le nouveau Pont Saint-Pierre et alimentant le bas des Chaprais.
En 1879, Stéphane Blondeau, autre propriétaire à la Grange Coulon propose à la Ville la cession gratuite d’une bande de terrain de 8 mètres de largeur pour relier la rue Fontaine Argent à la rue des Deux Princesses (future rue Chopard dans sa partie basse) et une autre bande de 6 mètres pour la partie haute à relier avec la rue de Belfort. Il propose même d’avancer l’argent des travaux remboursable sur 20 ans. Dans le même temps Charles Eugène Savoye offre le terrain nécessaire à la réalisation de la rue Fourier pour relier la rue de Belfort au pont des Cras. La Municipalité décline ces propositions mais retient ces offres dans le cadre des aménagements à venir.

Plan Delavelle 1883. Les rues Suard, Marie Louise, Fourier et Chopard ne sont pas
encore ouvertes.
En 1929, les Sœurs de Saint-Vincent créent une école d’infirmières, une maternité puis une école d’assistances sociales et de monitrices d’enseignement ménager.
En 1954, elles organisent dans le bâtiment Nord, une clinique pour enfants et de 1961 à 1969 une clinique chirurgicale.
En 1956, elles avaient pris en charge le foyer de la Protection de la Jeune Fille au 18 de la rue de la Cassotte.
En 1962, Saint-Vincent des Chaprais, partie Sud, côté Avenue Fontaine-Argent, est vendue à l’Institution Saint-Joseph.

A l’approche du troisième millénaire, le site éveille de puissantes convoitises immobilières. Seule la bordure Nord sera conservée. La clinique est assignée à résidences, comme l’a été la clinique de la rue de la Mouillère. Mais la demeure historique du 18ème siècle est isolée de son parc. Un nouvel immeuble, plus haut, plus large est dorénavant de grande proximité. Pouvait-on invoquer la règle de protection des 500 mètres. Plusieurs éléments en dissuadaient . La demeure n’est pas classée Monument Historique mais plus simplement inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.. La modestie de l’environnement architectural de la rue de la Cassotte ne plaide pas en sa faveur et les constructions proches du supermarché Casino non plus

Les 3 hectares de la Grange Coulon en voie de restructuration
L’urbanisme débridé qui prévaut souvent aux Chaprais nous laisse parfois dubitatif.
Christian Mourey août 202