Publications > Bulletins de l’association
Publié le 1 avril 2013
Bulletin 53 Besançon La promenade Granvelle: un peu d’histoire
avril 2013 Dominique Bonnet Docteur en histoire de l’art
Promenade Granvelle ou place Granvelle ?
Il y a bien une ambiguïté dans la dénomination actuelle. Nous souhaitons la lever et que soit
redonnée à cet espace historique au cœur de la cité, une approche plus verte avec plantation de haies taillées formant un mur végétal qui dissimulerait quelque peu le stationnement

A l’origine, le jardin du palais Granvelle
En avril 1575, des députés suisses, reçus au palais Granvelle construit quelques décennies plus tôt pour Nicolas Perrenot de Granvelle, alors ministre de Charles Quint, indiquent : « On admire également, dans la maison ou plutôt le palais magnifique de Monsieur de Granvelle, un jardin très agréable. A l’entrée du jardin a été disposé ingénieusement un jet d’eau à deux becs ; quand on les ouvre, l’eau s’élance en l’air, et l’on peut ainsi arroser facilement ceux qui se tiennent autour. Dans ce même jardin on trouve des simples et des plantes diverses, qu’il nous était alors difficile de distinguer, vu qu’elles n’avaient pas encore poussé. Il y avait, de l’autre côté du jardin, un pré embelli par divers arbres fruitiers : une eau provenant d’une (…) fontaine pouvait être conduite en tous sens dans ce pré. Dans le jardin s’élève une colonne de marbre, au sommet de laquelle on a établi un cadran solaire de cuivre doré… ». Fait à Nuremberg en 1541, celui-ci porte une inscription latine signifiant : « Le temps s’écoule et les années passent silencieuses, tandis que nous vieillissons, et les jours s’enfuient sans jamais, dans leur course, revenir en arrière ».
Si ce jardin typique de la première moitié de la Renaissance en France révèle une fonction utilitaire (simples, verger), il n’en est pas moins un jardin d’apparat. Orné d’un cadran solaire, il s’agrémente d’un jet d’eau conçu de façon à arroser par surprise le visiteur, exemple de l’un de ces pièges hydrauliques apparus dès le moyen-âge dans certaines propriétés princières.
Lors de la visite des députés suisses, un buste antique de Jupiter en marbre blanc se trouve sur la fontaine de la cour du palais. Il sera ensuite placé dans le jardin avec, en pendant, un buste de Junon spécialement réalisé par un sculpteur romain. Ces deux statues seront offertes à Louis XIV en 1683 lors de sa venue à Besançon et ensuite installées dans un bosquet de ses jardins de Versailles

L’ouverture au public
En 1728, le duc de Tallard, l’un des résidants du palais Granvelle affecté après la conquête française au logement du gouverneur de la province, décide d’ouvrir le jardin au public. L’année suivante, la terrasse est nivelée de façon à être raccordée avec le niveau général du sol, et le nouveau jet d’eau renforcé par la suppression de la fontaine de la cour du palais. Mais les Bisontins ne sont autorisés qu’à fréquenter les allées, les parterres étant amodiés à un maraîcher.
Ce n’est que cinquante ans plus tard que la totalité du jardin devient une promenade publique. Sur un plan de l’architecte de la Ville, Claude-Joseph-Alexandre Bertrand, des travaux sont conduits de 1778 à 1780 : nivellement du sol, remplacement des escaliers menant du palais au jardin par des rampes douces bordées de charmilles encadrant une demi-lune de gazon, plantation de tilleuls en six lignes parallèles formant sous leur couvert des allées de promenade rectilignes, ainsi que de bandes de gazon, de bosquets et de parterres de fleurs, installation de bancs. Le jardin est orné d’un cadran solaire et d’un bassin avec jet d’eau, qui sera comblé en 1786 pour raisons de sécurité.
En 1789, Bertrand édifie au fond de la promenade un pavillon de bois peint précédé d’un péristyle de quatre colonnes de pierre surmonté d’un fronton. De style néoclassique, ce « salon de rafraîchissement » est amodié à un limonadier-confiseur, qui fait aussi office de gardien.
Premiers embellissements
En 1861, la promenade hérite de certains éléments du jardin provisoire de l’Exposition universelle que l’architecte-paysagiste Brice Michel avait créé quelques mois plus tôt sur la place Labourey (actuelle place de la Révolution). Contre le mur du jardin de l’hôtel d’Hotelans, mitoyen à la promenade, est aménagée une rocaille sur laquelle l’eau se déverse en cascades dans des bassins qu’entoure une ligne de gazon plantée par endroits d’arbres à feuillage persistant. Un massif d’arbustes dissimule les cours ou jardins avoisinants.
Cet aménagement, visant à apporter la fraîcheur nécessaire dans la promenade resserrée au milieu des habitations, a nécessité l’abattage de la ligne d’arbres qui fait face à la propriété d’Hotelans, mais il est alors signalé que seuls deux de ces arbres étaient en bon état.
En 1864, le sculpteur bisontin Just Becquet offre à la Ville d’exécuter une réplique en pierre de sa statue Le Doubs. Celle-ci est placée au-dessus de la rocaille.
Agrandissement
Evoqué dès le début du XIXe siècle, le problème d’exiguïté de la promenade, en raison de la foule qui
vient s’y délasser et s’y promener les après-midi d’hiver ou les soirées d’été, est à nouveau à l’ordre du jour en 1873. Plus d’un hectare pourrait alors être gagné sur des propriétés communales telle la cour des
anciens communs du palais Granvelle. On projette d’aménager cette partie en jardin paysager de même
type que la promenade Micaud. Il ne semble pas que la promenade ait finalement été, même légèrement,
agrandie à cette époque. Aussi, en 1881, lorsque se présente l’opportunité d’acquérir la propriété
d’Hotelans contiguë, la Ville n’hésite- t-elle pas. Le bâtiment est destiné à devenir le lycée des filles et le
jardin servira à agrandir la promenade, hormis une partie cédée à l’architecte Saint-Ginest pour y construire une maison de quatre étages à l’angle de la rue Mairet et de la place du Théâtre. A la même époque, est annexé au jardin le sol de bâtiments appartenant à la Ville rue Mairet, ainsi que des dépendances du palais Granvelle. Situées devant le mur de la propriété d’Hotelans devant disparaître, les rocailles, ainsi que la statue du Doubs qui les surmonte, sont alors déplacées vers le bas de la promenade, le long des propriétés qui bordent la rue Mégevand.
Des arbres sont plantés de manière à poursuivre les allées régulières. Le kiosque à musique, présent dans la promenade depuis 1864, est reconstruit dans de plus vastes proportions et son emplacement décalé de
quelques mètres afin qu’il soit toujours au centre du jardin. Des arbustes, du gazon et des parterres de fleurs sont disposés dans les angles et les bordures, rappelant ceux qui entourent les rocailles. La banquette de pierre qui longe la rue de la Préfecture depuis 1783 (en remplacement d’un haut mur) est supprimée et une grille en fer et tôle est placée pour séparer l’école de la promenade. Quatre candélabres à trois branches remplacent les lanternes et une fontaine décorative de type Wallace agrémente un coin du jardin. L’urinoir est supprimé au profit d’un cabinet d’aisances public, petit bâtiment masqué par des décorations rustiques. Entre celui-ci et la cascade, à l’angle du lycée des filles, sont édifiés à peu près en même temps des WC payants auxquels on accède par une passerelle métallique, surplombant le petit cours d’eau qui se déverse d’un des rochers. Les travaux sont achevés en Néanmoins, on considère cette appropriation comme provisoire, car un nouvel agrandissement est toujours envisageable. Il aura lieu 40 ans plus tard.

Au début du XXe siècle, on se serrait sur la promenade Granvelle, les jours de musique.
Carte postale 1904-1905. Collection bibliothèque municipale de besançon (CP-B-P86-0009
Hommages
En août 1902, est inaugurée sur la promenade la statue en marbre de Victor Hugo, du sculpteur bisontin Just Becquet, puis, huit ans plus tard, le monument en l’honneur du peintre Théobald Chartran. Œuvre du sculpteur Victor Ségoffin, ce dernier figure le peintre sous la forme d’un buste, tandis qu’une femme – sa muse – s’appuie contre le piédestal. Ces deux éléments, en bronze, seront fondus par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Seul le buste de Chartran sera refait en 1948 par Georges Laethier qui possédait un moulage de l’original.

Inauguration de la statue de Victor Hugo, par les ministres du Commerce et de
l’Agriculture en 1902.
Carte postale. Collection bibliothèque municipale de Besançon (CP-B-P1-0061)

Le monument élevé au peintre Chartran comportait une figure de femme, aujourd’hui disparue.
Carte postale
entre 1904 et 1911. Collection bibliothèque municipale
de Besançon (CP-B-P4-0224)
En 1924, un monument en marbre à la mémoire du banquier Adolphe Veil-Picard, grand bienfaiteur
de la ville décédé en 1877, constitué d’un buste et de plusieurs figures allégoriques sculptés par Alfred
Boucher, est inauguré du côté de la rue de la Préfecture. Douze ans auparavant, suite à la décision de la
Ville de Besançon d’ériger cette sculpture, les fils de Veil-Picard avaient fait don de quatre immeubles situés rue Mégevand et rue de la Préfecture, à la condition que ceux-ci soient démolis et que l’espace ainsi dégagé serve à agrandir la promenade et accueillir l’hommage à leur père. Le délai accordé aux locataires pour quitter les lieux et la survenue de la guerre retardent à l’année 1925 cette extension de quelques ares.
Au nombre des bâtiments à démolir figure le pavillon de rafraîchissement, devenu le café Helder, vétuste. Néanmoins, sa colonnade de pierre est conservée dans l’objectif de servir de pergola à des plantes grimpantes. Le sol de la partie acquise, approprié, est planté de tilleuls et d’ormes en continuation des lignes existantes. Des plantations d’épicéas, de peupliers et d’arbustes à feuillage persistant sont aussi signalées.


L’ère de la voiture
Alors que les municipalités successives n’ont eu de cesse durant deux siècles de tenter d’agrandir la promenade Granvelle, celles des années 1950 vont choisir de réduire considérablement l’espace dévoluaux promeneurs au profit des voitures. En 1954, année où le portail en pierres de taille de l’ancienne chapelle des Carmes trouve place dans la promenade, des places de parking sont créées en bordure de la rue de la Préfecture, ainsi qu’aux abords du Kursaal. A cet endroit, la Ville acquiert de nouveaux terrains trouvant là un moyen de créer des places de stationnement supplémentaires. Ce parking est agrandi en 1964 grâce à un nouvel achat de terrain à un particulier. En 1967, le bâtiment des WC, vétuste, est reconstruit et la passerelle lui donnant accès modifiée.
Les années 1980 voient la disparition de la statue du Doubs du sommet de la rocaille, suivie de celle
des deux statuettes qui ornaient, de part et d’autre, l’escalier du kiosque.
Enfin, de 2008 à 2010, la rocaille est restaurée avec remise en eau en circuit fermé, mise en lumière et réaménagement paysager de ses abords. L’aire de jeux pour enfants, datant de 1997, très fréquentée,
est en même temps totalement réhabilitée.
Dominique BONNET, Docteur en Histoire de l’Art