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Publié le 1 novembre 2025


Bulletin 61 La guerre de 1870 à Besançon

janvier 2022 Ch.Mourey

La place Saint-Pierre est en liesse. Au soir de ce 4 septembre 1870, le maire, Hippolyte Proudhon, entouré de son conseil, confirme la proclamation de la République à Paris. Deux jours auparavant, l’armée de Mac-Mahon a été bousculée à Sedan avec Napoléon III. Les Prussiens approchent de Mulhouse.

Dorénavant, le conseil municipal se réunit tous les jours et même deux fois par jour, le matin et l’après-midi. En prévision, les conseillers Jacquard, Oudet et Bouvard avaient créé en juillet un comité chargé de recueillir les dons en faveur des futures victimes de la guerre. Pour bénéficier des prérogatives de la Convention de Genève de 1866, l’Association s’est ralliée à la Société française des blessés de guerre de Paris, filiale française de la Croix Rouge. La Municipalité lance un emprunt de 100 000 F bientôt porté à 300 000 pour pourvoir à l’alimentation de la population, aux travaux de la défense et à l’équipement de la garde nationale.

Les premiers blessés et surtout malades de l’armée des Vosges de Cambriels parviennent à Besançon courant septembre. La Ville souhaite organiser leur accueil au-delà des fortifications de Vauban. En effet, si la situation économique favorable du Second Empire a rejailli sur Besançon, il n’en demeure pas moins que la situation sanitaire de la ville est catastrophique. 39e pour le nombre d’habitants, 8e pour l’impact des épidémies, Besançon est première pour la mortalité infantile. Un enfant sur deux n’atteint pas l’âge d’un an. Vauban avait fortifié une ville de 15 000 habitants. Nous sommes dorénavant 50 000. Un médecin inspecteur de l’Armée décide d’autorité que l’accueil des blessés et des malades se fera intra-muros et propose le lycée Victor Hugo, Bellevaux, la maternelle Champrond, le musée…

Mi-octobre, Cambriels annonce son arrivée avec 30 000 hommes qu’il va falloir héberger et nourrir. On construit dans l’urgence des hangars place des Jacobins et dans les jardins de Saint-Maurice pour 2 000 têtes de bétail.

Le tsunami se déroule. Il sera bref dans cette version guerrière (2 trimestres) mais violent dans ses effets.

De l’arrivée des troupes de Cambriels à leur départ pour Gien via Chagny, de la constitution de l’Armée de l’Est de Bourbaki en décembre pour une épopée pitoyable sur Belfort, Besançon vit un trimestre de grande anarchie. On mise sur l’autorité du général Rolland, commandant de la place, pour nous préserver des troubles intérieurs et de l’artillerie ennemie. Au cours de la guerre de1870/1871, Besançon n’a subi ni siège, ni blocus. La ville a été l’infirmerie de cette zone de guerre. Cela a suffi à son malheur.

Dans son journal de guerre, à la date du 16 janvier 1871, Isabelle Febvay, épouse du secrétaire général de la préfecture devenue ambulancière, note : « Nous nous trouvons en présence d’une suite non interrompue de convois amenant une file sans fin de blessés et de malades qui vont submerger l’hôpital et ses dépendances. L’asile des fous et les prisons sont occupés par les malades. Les prisonniers eux-mêmes participent à l’œuvre de patriotisme et de charité. L’asile de Bellevaux hospitalise pendant cette période 1985 malades. Les maisons des habitants sont non seulement occupées mais débordent de soldats. La neige des trottoirs est rouge par le sang des blessés qu’on débarque des charrettes ou des cacolets. Peu de cris, des plaintes sourdes ou déjà le silence de la mort. Pas la moindre possibilité d’eau chaude. Aucun aliment, rien, rien ! 22 degrés de froid. La neige obstrue l’entrée des baraques. »

Dans une de ces baraques, à Saint-Paul, 184 varioleux repoussants de par la vue et l’odeur. Sur la porte on a écrit à la craie : défense d’entrer. Résolument Isabelle et son commando humanitaire y pénètrent pour distribuer à ces infortunés quelques gorgées de bouillon chaud, trophée extirpé la veille au général Rolland sur le même site…

Rolland s’était présenté à 9 heures, l’air contrarié. Isabelle sort d’une baraque un arrosoir d’eau à chaque bras. Elle essaie de franchir un amoncellement de cadavres obstruant la porte qui, de ce fait, ne se fermait plus ; ils s’étaient, pour mourir, jetés les uns sur les autres. Rolland, la cravache à la main, entre dans une baraque. Il fait mine de ne pas voir un empilement d’une trentaine de cadavres et se dirige, menaçant, vers ceux qui, couchés sur les planches, faisaient quelques mouvements. Il leur lance : « Levez-vous ! Ne devenez pas des traînards d’hôpital. » Indignée, Isabelle Febvay lui répond : « Quel hôpital ? Il n’y a ni feu, ni lits, ni pain, ni linge, ni eau chaude, rien, rien ! Ceux qui sont immobilisés, regardez-les, ils ont les membres gelés, ils sont comme des baudruches ; beaucoup ont déjà la gangrène ! »

Dans chaque baraque, c’est le même spectacle. Rolland se retire rapidement. A la grille, il fond en larmes. Il dit au commandant qui l’accompagne : « Venez avec moi à la Division. Vous prendrez 1 200 F de ma solde reçue hier que vous porterez à ces dames pour acheter un fourneau et des marmites. Je garde 2OO F ; cela me suffit. J’ai le cœur brisé » Dans l’après-midi, le service des secours fonctionnait déjà.

Le flux des malades et des blessés gagne les quartiers résidentiels, c’est-à-dire les rues de la Préfecture, Mégevand, Charles-Nodier. Partout des soldats couchés, autant que possible adossés aux murailles et serrés les uns contre les autres, agonisant ! Alors Isabelle Febvay, dans son journal de guerre, se libère : « Si les auteurs de la guerre pouvaient assister à toutes ces calamités, pas un, pas un seul ne voudrait assurer une telle responsabilité. »

On déplore 50 morts par jour. Les femmes sont sur le pont. A la préfecture, l’autorité c’est Zoé, la femme du préfet. L’inauguration du monument le 10 octobre 1886, nous en apprend encore davantage sur la présence des femmes lors de la guerre de 1870 à Besançon. L’ordre du cortège inaugural est révélateur. En tête la musique des pompiers ; derrière, les familles des victimes puis les infirmières, les ambulancières et l’Union des Femmes de France précédée du drapeau de la Convention de Genève.

Le préfet Jabouille dans son discours évoque un épisode marquant. Fin janvier 1871, un convoi de soldats blessés ou malades descend la rue Battant. Ils sont 600 sanglés sue des cacolets, à flanc de cheval. A la vue de ce spectacle, les femmes se précipitent pour les aider, les réconforter. Certaines veulent les emmener chez elles. Le convoi peine à repartir. Le préfet ajoute que certaines sont mortes de ce contact.

A l’inauguration toujours, 40 couronnes sont déposées. La dernière de la part du général Rolland redevenu capitaine de frégate en retraite à Marseille. Il la dédie aux infirmières de Besançon.

Le monument aux morts du Champ Bruley

Au sortir de la guerre, la Société de secours aux blessés projette d’élever un monument à la mémoire des soldats morts à Besançon.

En 1873, la municipalité ouvre l’avenue Fontaine-Argent. A sa jonction avec la rue des Deux-Princesses et le futur boulevard Diderot, à l’entrée sud du cimetière des Chaprais, on envisage un rond-point où serait placé le monument, mais aussi une fontaine et un lavoir. Le projet est abandonné.

En 1876, les restes des 440 soldats français enterrés pendant la guerre au cimetière des Chaprais sont transférés dans une tombe de 40 mètres carrés au Champ Bruley à proximité de l’emplacement actuel du monument où l’on déplace également les 1742 corps préalablement inhumés dans le haut du Champ Bruley, dans une tombe de 150 m2. Deux mètres carrés sont affectés aux corps de neuf soldats allemands. Le tout est recouvert d’un tumulus de terre surmonté d’un mausolée sommaire qui se dégrade et sur lequel aucune inscription n’est possible. Le préfet rappelle à la Ville ses obligations d’entretien et propose 2 000 F pour l’érection d’un monument modeste entouré d’une grille de 60 mètres de long sur le tumulus.

En 1879, le Comité de secours aux blessés remet ses comptes au conseil municipal. Le comité s’était formé à l’initiative et sous le patronage de la municipalité en 1870. L’actif financier de la Société est de 72 750 F remis dans les caisses de la Ville. Le comité souhaite que soit repris le projet de monument en l’honneur des victimes de la guerre en sollicitant le concours de la Ville, du Département et de la Société Centrale de Paris (Croix-Rouge).


Le monument aux morts de la guerre de 1870


L’urne contenant la version papier

Le monument a été conçu par Mr Griblin, architecte de la Ville. Il est taillé dans un bloc de granit des Alpes échoué dans le Jura suite à la fonte d’un glacier alpin qui l’avait emporté. La matière est dense et difficile à travailler. Les fondations ont fait l’objet d’un soin particulier, d’autant que le terrain est meuble.

Lors des derniers discours de son inauguration, des ouvriers scellent dans la pierre une urne de plomb contenant des feuilles de papier où sont inscrits les noms des soldats inhumés.

Craignant la dégradation et estimant difficile la consultation du document, la Société des blessés de guerre réalise en 1893 un « livre d’airain », 12 feuillets de métal où sont gravés les noms des 2 179 victimes groupés dans un coffre métallique fixé au monument. L’inauguration du dispositif fait l’objet d’une cérémonie encore plus importante que celle du monument sept ans plus tôt. Pour prévenir tout vandalisme, les feuilles de métal ont été depuis déposées au Musée du Temps.

L’urne contenant la version papier a été retrouvée lors des récents travaux de restauration. Elle a été confiée au service compétent.

Félicitations à Gilles Champion, un nouvel adhérent RVB, qui a permis à la Ville de Besançon et plus précisément au service bibliothèques et archives, de récupérer un cylindre de plomb contenant sans aucun doute la liste des victimes du conflit de 1870 – 1871 inhumés au cimetière du champ Bruley.

La liste des officiers, sous-officiers et soldats relevés indique leur identité et leur régiment d’affectation. Cinquante n’ont pu être identifiés. Six cents sont francs-comtois. Quinze sont allemands. En 1899, cinq soldats sont transférés du cimetière de Morre au Champ Bruley.

Le 150e anniversaire de la guerre de 1870 a suscité un intérêt indéniable. Il était juste que l’allée qui mène à la tombe de plus de 2 000 soldats prenne le nom d’Isabelle Febvay, elle qui, aidée de ses compagnes d’humanisme, les a accompagnés jusqu’à l’issue fatale.

Christian Mourey

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